Des Comoriennes contre la misogynie et le sexisme : “Quoi mon pantalon ?”

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Elles s’appellent Andjouza, Fathate, Hissani, Abouhariat, Hayatte… Elles ont en commun d’être Comoriennes et d’avoir, un jour, été victimes d’actes sexistes et de misogynie. Dernièrement, plusieurs d’entre elles se sont vu refuser l’entrée du palais de justice de Moroni au prétexte qu’elles portaient un pantalon ou une jupe trop courte. Trop, c’est trop. En cette Journée internationale des droits des femmes, elles dénoncent le machisme dans cet archipel qui cultive aussi l’art du double langage.

Aux Comores, Nourina, Faïza, Mireille, Hissane Guy, Samira, Fathate, Andjouza, Nadia, Takia, Tahamida, Farida et Moinadjoumoi portent le pantalon.

“Vous ne pouvez pas entrer Madame. Ici, les femmes en pantalon c’est interdit.” Mercredi 23 février 2022. Je regarde, stupéfaite, le portier du palais de justice de Moroni, qui m’en empêche l’accès. Ce matin, lorsque je me suis habillée pour venir à Moroni chercher un extrait de casier judiciaire, j’ai choisi un pantalon et des baskets car il pleuvait. Un joli jean bleu, tout simple, mon fétiche, que j’ai assorti avec une chemise longue. Visiblement, pas au goût du gardien du tribunal.

Passée la surprise, j’éclate de rire. Il plaisante, bien sûr. Mais à l’expression de son visage, je comprends qu’il est on ne peut plus sérieux. La colère m’envahit. Ce n’est pas la première fois que je viens au tribunal en pantalon. On ne m’a jamais rien dit. J’interroge les deux portiers : “Ça date de quand cette consigne ?” L’un d’eux me répond : “Ça vient du procureur ; et peut n’importe ce que vous direz ou ferez, on ne vous laissera pas entrer.”

Une fois à la maison, j’appelle le procureur général, Soilihi Djae. Lui raconte ma mésaventure du matin et lui demande si c’est lui qui a signé cette note. Il jure ne pas être au courant : “Si une note pareille existe, elle ne vient pas de moi, pourtant, je suis le patron de cette institution. C’est peut-être un excès de zèle des portiers ?” Possible, ce ne serait pas la première fois.

D’ailleurs, le lendemain, c’est le tour de Andjouza Abouheir d’en faire les frais. La journaliste de La Gazette des Comores est là pour couvrir une affaire. Les deux portiers lui interdisent l’accès du palais de justice pour le même motif. “J’étais vraiment choquée,  humiliée sous la pluie, s’indigne la journaliste que nous avons rencontrée. C’était vraiment horrible. Sous prétexte que je porte un pantalon, je ne peux pas faire mon travail, je trouve ça pathétique et inadmissible.”

Andjouza Abouheir a le même réflexe que moi. Sur place, elle appelle le procureur général pour lui demander une explication. “Il m’a raconté ce qui t’était arrivé la veille, me dit-elle. Et m’a affirmé n’y être pour rien dans cette histoire.” Le procureur jure à la journaliste qu’il n’a jamais donné cet ordre, ni signé une note. Pour autant, il n’intervient pas auprès des  portiers pour laisser entrer la journaliste et lui permettre de faire son travail. Andjouza Abouheir doit rebrousser chemin.

Cette atteinte manifeste à la liberté vestimentaire des femmes n’est pas un acte isolé. En octobre 2020, Hissani Mhoma était stagiaire au quotidien Al Watwan. Elle s’était vu refuser l’accès à la Cour suprême parce qu’elle portait une jupe jugée trop courte. 

“C’est une petite chose”

Fathate Karine Hassane, cheffe de département de la faculté des Lettres et sciences humaines à l’Université des Comores, a accepté de témoigner. Elle a, maintes fois, fait l’objet de brimades de la part de ses collègues hommes. Ses tenues vestimentaires et sa manière de se coiffer dérangent. Un jour, un ancien président de l’université avait osé cette sortie : “Vous devriez vous respecter. La manière dont vous vous habillez ne vous honore pas, je croyais que vous étiez une Malgache”, rapporte-t-elle. Pendant que d’autres hommes voulaient décider de sa coiffure. “Un jour, un agent m’a dit : “Aujourd’hui, vos cheveux sont mieux coiffés”. C’est incroyable, mais mes cheveux j’ai le droit de les coiffer comme je veux !

La cheffe de département se dit choquée et revoltée que la femme comorienne soit réduite à sa manière de s’habiller ou se coiffer : “Jamais on ne nous juge sur nos compétences. On nous réduit juste à notre sexe.” Elle n’accepte pas que les hommes décident de ce que peuvent porter ou non les femmes, car, pour elle, cela va plus loin : “Ce n’est pas uniquement une histoire de robe trop courte, de pantalon ou de cheveux, c’est une histoire de contrôle. D’hommes qui veulent à tout prix dominer les femmes.”

De mon côté, je ne digère pas cette histoire de pantalon. Le 25 février, je me rends donc au palais de justice, cette fois, en hidjab. On me laisse entrer. Je souhaite réinterroger le procureur général sur cette fameuse note, mais il est absent. Je l’appelle. Face à mon insistance, son langage change. Il minimise le sujet : “Je ne vois pas où est le problème. Je pense que c’est une petite chose.” Et devient moralisateur : “Les femmes du monde ne se battent pas aujourd’hui pour des histoires de pantalon, mais dans les instances de prise de décision.” 

De retour au portail, je questionne encore les deux gardiens sur l’origine de cette consigne. “Aucune note n’est écrite. c’est une note verbale”, précise l’un d’eux. Non, rectifie l’autre : “C’est un ordre.” Qui l’a donné ? “C’est le procureur général, Soilihi Djae”, lâche-t-il. “Il a dit : “Ne laissez pas entrer les hommes en short ou sans manches ni les femmes qui portent des pantalons, des jupes ou des robes courtes. Elles doivent se couvrir et s’habiller d’une manière respectueuse, parce que ici, c’est une maison de loi et de règlement”.” Selon la définition du procureur général, qui, rappelons-le, fait aussi partie du Conseil national des droits de l’Homme et des libertés (CNDHL), le pantalon ne serait donc pas couvrant… 

Sur quelle base légale le procureur général se fonde-t-il pour prendre cette décision ? “Aucune”, affirme le bâtonnier du barreau de Moroni, Abdouloihabi Mohamed, qui explique : “Je ne connais aucun texte qui interdit à la femme de porter un pantalon. Toute la panoplie des textes régissant l’Union des Comores respecte les droits humains.” Pour l’avocat, “c’est une atteinte aux libertés individuelles” et cette décision du procureur général “est lamentable”.

Mais c’est quoi au juste un vêtement respectueux ? Lorsque Andjouza Abouheir, dans une tentative de faire entendre raison aux portiers, leur a expliqué qu’à Beit-Salam, la présidence ne nous avait jamais refoulées parce qu’on portait un pantalon, la réplique fut renversante, confie la journaliste : “Cela ne nous regarde pas. Ici, c’est le palais de justice pas Beit Salam.”

Cet ordre, imposé par le parquet, a, par ailleurs, causé la mise au banc d’une greffière. Quand sa sœur est venue la voir au palais de justice, on lui a aussi interdit l’accès parce que sa robe, qui tombait au-dessous des genoux, était trop courte. Alertée, la greffière s’est portée à sa rencontre. Elle a expliqué aux portiers qu’ils n’avaient pas le droit de refouler les gens. “Il a alors traité ma sœur de pute, témoigne la greffière. Je n’ai pas pu résister ; c’est vrai que je l’ai vraiment insulté. Après, on m’a mise à pied.”

Les femmes à la maison !

Cette histoire de pantalon est révélatrice d’un malaise sociétal bien plus profond. Aux Comores, les hommes ne sont pas à un acte sexiste près. On se souvient de l’histoire d’Abouhariat Saïd Abdallah, l’actuelle rédactrice en chef d’Al Watwan, à qui on avait interdit de couvrir, dans le cadre de sa profession de journaliste, une réunion des notables de l’île, en l’empêchant d’entrer, au motif qu’elle était une femme. Alors même que cette réunion se déroulait… au foyer des femmes de Moroni !

La misogynie atteint les plus hautes sphères gouvernantes. Comme une odeur nauséabonde qu’on n’arrive pas à dissiper, elle se propage. C’est devenu normal, “un rien du tout”, comme dirait le procureur général. La liste des remarques désobligeantes, des brimades de nature sexiste est longue comme le bras. Jusqu’à l’émergence d’une culture du viol qui se diffuse sans complexe par la bouche de certains hommes politiques.

Le 25 novembre 2021, sur l’île d’Anjouan, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, l’ancien député Ali Hadji, devant des milliers de personnes, hommes et femmes réunis, en présence du président de l’Union des Comores, des membres de son gouvernement et des institutions des Nations Unies, compare les femmes à du poisson. Celui qui est aussi l’un des prédicateurs les plus écoutés a une manière bien à lui de clamer son respect de la femme. 

A partir de la 4e minute de son discours, dont la vidéo est disponible sur YouTube, il incite le gouvernement à imposer aux femmes une manière de s’habiller et exhorte les Comoriennes : “Acceptez les femmes de couvrir un peu votre beauté ! Moi, je demanderais au gouvernement d’ordonner à nos sœurs de s’habiller d’une manière qui ne nous cause pas d’accident de voiture (…) Faites en sorte que lorsque nous vous voyons on se sente respectueux envers vous. Mais qu’on ne vous arrête pas comme une personne portant des fagots et qui arrête un taxi (sic).”

La suite de ses propos défie l’entendement : “Dites-moi, s’il vous plaît : si on prépare du poisson, on le frit, on le met dans une assiette et on ne le couvre pas, est-ce qu’on peut empêcher les mouches de se poser dessus ?” En d’autres mots, elles l’auront bien cherché…

Des éléments de langage que l’on retrouve dans le discours en shikomori (à partir de 1 h 16), que prononce le président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, ce même jour, en parfaite résonance avec celui de l’ancien député. Reprenant la comparaison de la femme et du poisson, il va plus loin :  “Si aujourd’hui une femme se met à danser nue dans le métro et qu’un homme ne réagit pas, ce n’est pas un homme.” Il conseille aux femmes de bien choisir ce qu’elles apprennent de “l’Autre”, autrement dit de l’Occident. Puis, il s’en prend à l’homosexualité féminine : “Si les femmes apprennent qu’une femme épouse une autre femme, il y aura des morts et des blessés ; et si c’est leur droit là-bas, ce n’est pas leur droit ici.

Pour le bouquet final, le Président prend à témoin l’assistance : “Vous connaissez les droits d’une femme à la maison : elle éduque les enfants, prépare à manger (…) Je peux me permettre de me disputer avec ma femme le jour, mais la nuit tombée, je n’oserais jamais (…).”

C’est pourtant le même Président Assoumani, qui affirmait, quelques mois auparavant, dans son discours en français du 8 mars 2021, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, que : “Tout en œuvrant à promouvoir davantage l’égalité de genre et le leadership des femmes, nous devons également poursuivre les actions en cours visant à les aider à bénéficier pleinement de leurs droits les plus élémentaires.” Et que “de tous les combats que nous devons mener en faveur de la femme, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles doit continuer à nous interpeller.” Allant même jusqu’à oser affirmer : “Toutefois, nous nous réjouissons du fait que plusieurs indicateurs montrent, aujourd’hui, que l’Union des Comores fait partie des pays où la femme est mise en avant et peut jouer un rôle de premier plan dans le développement socio-économique.”

Un discours nettoyé de tous propos sexistes, clairement destiné au reste du monde, mais qui ne trompe plus les Comoriennes, qui ne veulent plus des mots mais des actes. Et surtout le respect de leurs droits, de leur genre et de leurs libertés. 

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